Rendez-vous entre jumeaux [PV]

Matthew, qui redoutait plus que tout d’arriver en retard au rendez-vous de Lizzie, avait pressé le pas en se rendant compte qu’il avait un bout de chemin à faire avant de pouvoir aller la voir. Dans un premier temps, il fonça chez Honeyduckes pour acheter quelque chose à Lisbeth. Après tout, venir les mains vides ne lui plaisait pas. Ainsi, il dépensa deux gallions pour trente chocoballes. Ca n’était pas grand-chose, mais il refusait de l’embarrasser plus encore avec un grand cadeau. Et il était sûr que ça lui plairait. En chemin, miracle, il rencontra Lysander. Mal à l’aise, stressé, il lui expliqua rapidement qu’il avait rendez-vous avec sa meilleure amie et que, donc, il ne pourrait le rejoindre que plus tard. Ils convinrent donc de se retrouver devant les Trois Balais aux alentours de midi, histoire d’être sûrs de ne pas se rater.

Le Gryffondor reprit donc son chemin en surveillant régulièrement sa montre. Ce serait tout juste ! Arrivé au coin de la rue, il s’arrêta pour arranger un peu sa chemise et ses cheveux. Poussant un léger soupir, il se redressa et tourna pour se diriger vers les Trois Balais où Lizzie se trouvait déjà. Dans un jeans et une chemise noire seyante, elle était tout simplement resplendissante. Une fois de plus, l’idée qu’il avait été stupide de la quitter lui traversa l’esprit l’espace d’une seconde. Mais ce fut vite oublié.

-Salut Lizzie. Tu vas bien ?

Comme d’habitude ces derniers temps, Matthew n’osa pas lui embrasser la joue. Après tout, si elle était fâchée, il valait mieux qu’il se tienne à distance. D’autant qu’elle n’avait rien fait pour qu’il reprenne sa vieille habitude. Mal à l’aise, il se balança brièvement sur ses pieds puis pointa l’établissement du pouce.

-Je t’offre quelque chose à boire ? Ah ! J’oubliais ! Je t’ai pris ça, je sais que tu aimes bien…

Et il lui tendit le sachet de chocoballes, avec un léger sourire. Pourvu qu’elle le prenne bien ! Ou, au moins, que ça ne la fâche pas encore plus.

-Venir les mains vides à un rendez-vous, ça n’aurait pas été très galant…

Rajouta-t-il, comme pour se justifier.

Il n’y avait pas encore beaucoup d’élèves dans les rues de Pré-au-Lard, juste les autochtones souriant chaleureusement aux plus jeunes excités et enivrés par la liberté qu’on leur accordait l’espace d’une journée. Plantée à l’entrée du village, les mains dans les poches, Lisbeth observait le mouvement ralenti d’un autre monde, dépossédé de barrière magique et relaxé de la tension d’une école. Lisbeth aimait cet endroit, déconnecté et parallèle, où régnait la magie sans complexe, où s’alliait la détente avec le loisir. Faire les boutiques n’était pas ce qu’elle préférait, mais elle aimait venir y passer du temps avec ses amis.

Avec Matthew. Elle jeta un coup d’œil à sa montre. D’aucun se serait étonné de la voir avec un regard aussi éteint, elle qui conservait toujours cette étincelle pleine de vie au fond de ses prunelles pomme, ce joli sourire frais aux lèvres. Seulement, tracassée, elle avait l’esprit ailleurs, et même l’atmosphère décalée du village ne rafraîchissait pas ses pensées. C’était étrange, la façon dont avait évoluées les choses. D’habitude, elle ne restait pas aussi colérique si longtemps, elle retrouvait ses vieilles habitudes intimes avec son Jumeau le soir même, oubliant qu’il avait dépassé les limites, sachant qu’il allait recommencer, mais quoi, ce n’était pas si grave. Agaçant, mais pas si grave. Pourtant, Lisbeth n’en démordait pas, elle n’arrivait pas à faire disparaître cette boule dans son estomac, et elle gardait une distance inhabituelle avec lui. Lisbeth se mordit la lèvre inférieure. C’était de sa faute à elle, aussi. Si elle ne le laissait pas faire autant, peut-être que… Elle secoua la tête. Non. C’était comme ça que se construisait leur amitié, ça faisait partie de son essence ! Alors pourquoi ? Pourquoi ça la dérangeait autant ?

Les idées emmêlées, la jeune femme se prit la direction des Trois Balais, là où elle lui avait donné rendez-vous. Il fallait qu’ils se parlent, il fallait qu’ils aient une discussion sérieuse ; si sa culpabilité habituelle n’était pas revenue, en revanche, l’inquiétude l’avait gagnée depuis qu’il avait adopté un étrange comportement après sa dernière conversation avec Lysander. Décidément, elle n’aimait pas ce type. Pourquoi le lui rendait-il toujours aussi sérieux ? Quelque chose le travaillait, c’était évident, et elle n’aimait pas ça.

« Salut Lizzie. Tu vas bien ? »

Elle releva la tête. Plongée dans ses pensées, Lisbeth ne l’avait pas entendu arriver ; il tenait à la main un sac de Chocoballes et avait sa tête de petit chien abandonné, comme à chaque fois qu’ils se revoyaient après l’une de leurs disputes habituelles. A cette simple vue, son cœur se réchauffa. Elle adorait cette moue sur le visage de son meilleur ami, cela la faisait toujours fondre, quand il perdait ses airs de grand dragueur et l’assurance dont il savait faire preuve. Quand enfin il était naturel ; son regard était tellement touchant et peiné à ce moment-là qu’elle avait toujours du mal à continuer de lui en vouloir – cependant, pas aujourd’hui. Il ne lui fit pas la bise ; et malgré tout, elle ne se pencha pas non plus pour la lui faire.

« Je t’offre quelque chose à boire ? Ah ! J’oubliais ! Je t’ai pris ça, je sais que tu aimes bien… »

Lisbeth n’avait même pas eu le temps d’ouvrir la bouche pour répondre à quoi que ce soit qu’il lui tendait le paquet de Chocoballes à bout de bras.

« Matt’… »
« Venir les mains vides à un rendez-vous, ça n’aurait pas été très galant… »
« Matt’ ! »

Lisbeth eut un lourd soupir et se passa une main sur le visage. Matthew, en face d’elle, s’était tut, la tête basse. Lisbeth hésita un instant, puis lui saisit la main. Elle ne releva même pas qu'il parlait à la fois de rendez-vous et de galanterie.

« Arrête ton char, un peu. Je t’assure que je n’ai aucune envie de t’écharper. Et d’accord, allons boire un verre. »

Mince, elle avait quand même été sèche. Il ne méritait pas ça, mais elle n’avait pas prévu qu’il soit si nerveux. Ce n’était pas ainsi, d’habitude.

« Excuse-moi », lui dit-elle.

Et elle réussit à lui sourire. Certes, ce n’était pas ce sourire si habituellement rayonnant, mais comme les choses semblaient avoir décidé de faire dans l’inhabituel, elle commençait à s’y faire. Elle tourna les talons et pénétra dans l’établissement, repéra une table de libre – ce qui n’était pas bien difficile, les Trois Balais était quasiment vide – et s’installa.

« Au fait, merci pour les Chocoballes. »

Lisbeth se tut un instant, puis, sans même attendre que Matthew ne dise quoi que ce soit, sans attendre qu’ils aient commandé, elle attaqua, vrillant son regard dans celui de son meilleur ami :

« Qu’est-ce qu’il t’arrive, Matt’ ? Qu’est-ce qu’à bien pu te raconter Lysander pour que tu sois encore dans un état pareil ? »

Un autre des défauts de Matthew est qu'il parle beaucoup quand il est nerveux. Et cela venait de se produire à l'instant. Lizzie l'avait rappellé à l'ordre, et il s'en était senti presque honteux. Le soupir de la jeune fille lui fit mal au coeur, et son ton sec lui donna le réflexe de baisser les yeux malgré sa main dans la sienne. Il n'avait vraiment pas l'habitude de se la mettre ainsi à dos. Pour le moment, c'était comme si quelque chose avait cassé entre eux. Comme s'il manquait une pièce du puzzle.

-Ca fait rien.

Après tout, il était compréhensible que sa jumelle soie en rogne. De plus, il était nerveux comme jamais. Ca ne devait pas arranger les choses. Ils entrèrent donc aux Trois Balais et s'installèrent à une des nombreuses tables vides, un peu à l'écart de l'entrée. Le Gryffondor était entrain de réfléchir à comment démarrer la conversation quand sa meilleure amie s'en chargea. Il n'avait même pas entendu ses remerciements. Mal à l'aise, il ne soutint pas son regard et prit une grande inspiration. Mais il fut momentanément sauvé par l'arrivée d'une serveuse.

-Une Bièraubeurre pour moi. Et toi Lizzie? C'est moi qui offre.

A peine quelques minutes plus tard, la serveuse était de retour avec leur commande et son dernier espoir de pouvoir se taire s'envola. Il avait maintenant des explications à donner, alors qu'il n'était même pas sûr de savoir lui-même. Mais ce qu'il ne comprenait pas, c'était pourquoi elle donnait toujours l'impression d'accuser Lysander de quelque chose.

-En fait... Il ne me raconte pas grand-chose de spécial... C'est juste qu'il me fait réfléchir, et que je réalise pas mal de trucs, en discutant avec lui. Et c'est pas toujours des choses agréables... Par exemple, je ne suis même pas capable de voir au-delà de l'apparence physique des gens. Mon ego en a pris un sacré coup, tu sais? Enfin, on a un peu parlé de toi, aussi... Oh, pas en mal, hein? Juste... Je lui ai dit que tu restais fâchée, cette fois-ci... Je dois bien t'avouer que je ne comprenais pas pourquoi, jusqu'à ce qu'il m'explique... Je devrais te laisser un peu tranquille, je sais... Ca te ferait du bien, hein? Mais... Tu sais, je dis toujours que c'est juste pour t'ennuyer... C'est vrai, hein! Mais... euh... Ya des moments où... Où c'est comme automatique... Ou je n'arrive pas à me comporter autrement... Sans doute parce que t'es super jolie! Fin, bref... Je voulais m'excuser, aussi... Je crois que je réalisais pas vraiment à quel point ça te dérangeait, ni à quel point ça a pu te nuire... Je suis désolé, Lizzie. Je m'en veux d'avoir trop insisté. Je ferais des efforts pour te laisser un peu tranquille...

Mais le plus grand mystère restait : pourquoi se sentait-il obligé de draguer Lisbeth? Matthew repensa à la conversation qu'il avait eue avec Lysander. Il n'avait trouvé aucune fille moche qui avait le béguin pour lui. Bon, aucune ne lui aurait dit non mais il n'y avait aucune fille amoureuse de lui. Quant à une fille qui avait des tonnes de points communs avec lui, sans l'étouffer, il ne voyait que son Elisabeth. Attendez un peu!! Ne me dites pas que ce sale petit Serpentard parlait d'elle?! Peut-être la demoiselle était-elle entrain de parler, auquel cas il ne l'entendait pas trop occupé à réfléchir. Avant Lizzie, il se sentait bien avec les filles. Avec Lizzie, ça avait été parfait et depuis elle, les filles n'étaient que des aventures de passage. Ah non. Pas possible. Qu'on lui teigne les cheveux en vert si c'était ça. Il s'était toujours rendu compte qu'il avait du mal à l'oublier mais avait mit ça sur le compte de la durée de leur relation. Non, non, non et non! Il ne ressentait plus rien pour elle. C'était du passé. Mais dans ce cas, pourquoi se sentait-il si mal, depuis qu'ils s'étaient brouillés? Sans sa jumelle, il n'était plus rien. Lysander était sa conscience, mais il avait besoin de partager sa joie de vivre avec quelqu'un. Ca avait toujours été Lizzie. Aucune autre fille ne l'avait jamais compris comme elle. Encore un des "trucs" que Lysander lui faisait réaliser. Il devait en faire une tête!

« Une Bierraubeurre également, s’il vous plaît. »

Elle s’y était plus ou moins attendue, à ce qu’il se défile, à ce qu’il profite de tout et de rien pour se laisser plus de temps. Ce genre d’interrogatoire, ce n’était pas le premier qu’elle le menait avec lui, et, étrangement, il avait toujours le même sujet : Lysander. Lysander de Cocytus, ce Serpentard pour qui Matthew s’est pris d’affection. C’était incroyable ! Un peu comme le jour où Matthew était venu lui annoncer qu’il s’était trouvé une copine, se trouvant être la seule personne au monde que Lisbeth n’avait jamais pu sentir dès la première rencontre, faisant confiance à un instinct qui, cette fois, ne s’était absolument pas trompé. Quand quelque chose clochait avec Matthew, Lysander y était forcément pour quelque chose ; tellement que c’en était devenu une habitude. Lisbeth ne faisait même plus attention : elle accusait toujours la même personne, à chaque fois, par automatisme. Elle ne le sentait décidément pas, ce Serpentard.

La jeune femme attendit alors patiemment que Matthew lui réponde. Parce qu’elle savait que, même s’il mettait autant de temps, même s’il demeurait silencieux le temps que leurs boissons arrivent, il finirait par lui répondre ; ça avait toujours été ainsi. Pendant tout ce temps, elle l’observa ; lui, préféra promener son regard ailleurs, mais pas sur elle.

Et il commença. Un flot de paroles épisodiques, des phrases interrompues, recommencées, maladroites, complètes et claires, tronquées et hésitantes. Ses paroles n’étaient que le reflet de ses pensées en bataille, des sujets confondus en un seul qui sortaient parce qu’il pensait à tout, en même temps. Habituée, Lisbeth l’écouta avec attention, essaya de reconstituer le puzzle de ses pensées ; et au fur et à mesure qu’elle y parvenait, elle hésitait entre estampiller Lysander de trouble-fête professionnel, ou arrêter brutalement Matthew dans son délire. Elle choisit plutôt de le laisser terminer et reprendre son souffle, se rappelant les paroles de son sage frère Henry : « prend ton temps ».

« Tu sais quoi, Matt’ ? », dit-elle une fois qu’elle eut – un peu – réfléchi, « je crois que tu te prends la tête pour rien. Regarde-toi ! A te voir, j’ai menacé de t’arracher les trippes si jamais tu recommençais. Lysander te mets martel en tête pour du beurre. Tu ne crois pas que si tu arrêtais ton petit jeu avec moi, ça ne sera plus comme avant ? Ca fait deux ans, Matt’, deux ans que c’est comme ça, c’est pas la première fois que ça arrive, que je te fasse la tête, et ce ne sera sûrement pas la dernière. »

Lisbeth se tut un instant, porta la boisson à ses lèvres et en bu une bonne lampée, plongée dans ses pensées. Des pensées brouillées par le discours nerveux de son ami, des pensées dérangées par certaines choses dites inconsciemment mais qui cachait quelque chose qui le rendait, elle, nerveuse.

« Bon, c’est vrai aussi que j’aimerais que tu ralentisses ton rythme. Pour ça, il n’a pas tort, le Lysander… »

Serait-ce parce qu’il a souvent raison, qu’elle ne le supporte pas ? Serait-ce parce qu’il arrive si bien à déchiffrer ce qui est abstrait, sous-entendu, inconscient, qu’elle se méfie de lui ? Une idée lui trottait dans la tête, à propos de cette tête de serpent. Une idée peut-être préconçue, mais qui collait si bien à la peau de Lysander qu’elle ne pouvait qu’envisager cette option : il était trop intelligent pour être mauvais manipulateur. A tout découvrir sur Matthew en un seul regard, il pouvait aisément se servir de lui, user de ses faiblesses dont son Jumeau n’avait même pas conscience. En tout cas, il avait la tête de l’emploi.

Lisbeth leva la main et flanqua une pichenette sur le front de Matthew.

« Tu sais quoi, Matt’, reste comme tu es, c’est comme ça que je t’aime. Evites seulement la surdose, et, s’il te plaît, cesse d’avoir cet air honteux et malheureux ! Ou je te laisse en plan ici pour retrouver Bliss. »

Jouer les fausses joyeuses était la seule échappatoire qu’elle avait trouvé. Matthew avait touché le point sensible ; vous savez, quand quelque chose vous tracasse, mais qu’il est impossible de mettre le doigt dessus, vous avez l’impression qu’une chaîne entaille la pression, là, dans l’estomac, et quand, soudainement, un mot éclaire la sensation, elle bat ses ailes, libérée mais plus puissante encore, moins contrainte et libre de se répandre. C’était donc ça, qui la faisait la tenir aussi loin de lui, depuis quelques temps, qui lui ordonnait de maintenir une distance. Ce point sombre dans le tableau, que Matthew avait soulevé tout seul et qui, sur le moment, et encore maintenant, avait fait peur à la jeune femme, et la rendait nerveuse. Comment ça, ses séances de drague à son égard étaient automatiques ?

« Ca devient trop… flippant », murmura-t-elle, plus pour elle-même que pour lui.

En fin de compte, peut-être aurait-il mieux fait d'envoyer un mot d'excuse à Lisbeth, pour lui dire qu'il ne viendrait pas parce qu'il avait besoin de réfléchir. Comment n'y avait-il pas pensé avant? Pourquoi Lysander ne l'avait-il pas aidé plus? Elle lui demandait de rester comme il était, mais se rendait-elle bien compte de ce qu'elle demandait? Jamais il ne pourrait éviter la surdose. Les choses étaient trop floues. Il ne jouait pas toujours à la draguer. Parfois c'était irréfléchi, comme à chaque fois qu'il avait vraiment craqué sur une fille. Mais c'était impossible. Ils s'étaient aimés, certes, mais ils s'étaient quittés d'un commun accord. Au fond, c'était de sa faute s'il s'était empêtré là-dedans. Il n'aurait jamais dû l'ennuyer avec ça. Jamais. La pichenette qu'il reçu sur le front lui avait arraché un sourire, mais il avait gardé le même air qu'avant.

-Je sais...

Souffla Matthew, qui avait entendu le murmure de sa jumelle. Il soupira longuement et entama sa chope à laquelle il n'avait même pas encore touché. Il prit une longue gorgée, joua un instant avec une mèche qui s'était dégagée de sa queue de cheval et recommença à parler.

-Tu sais... Il y a pas mal de choses auxquelles j'ai réfléchi, récemment... Je crois... Que j'ai vraiment du mal à t'oublier... Je veux dire, ... Je me suis plus senti bien avec aucune fille depuis toi...

C'était dur de passer aux aveux sur quelque chose qu'il avait réalisé et accepté en quelques minutes. Enfin, accepté était un bien grand mot, parce qu'il n'admettait toujours pas qu'il aimait encore Lizzie.

-Lysander me dit à chaque fois qu'il ne comprend pas pourquoi on s'est séparés... Et à ces moments-là... Je me dis que j'ai été con de le faire.

Voilà, c'était dit. Matthew venait de dévoiler un de ses plus grands secrets. Il ne s'autorisait que rarement à y penser mais, au fond, il avait toujours regretté qu'ils se soient séparés même s'ils avaient perdu la flamme des premiers jours. Il aurait dû considérer ça comme un passage à vide et prendre son mal en patience au lieu d'aller voir ailleurs. Même à Lysander, il ne l'avait jamais avoué ainsi, sans faire de détours.

-Je suis désolé, il faut vraiment que je réfléchisse... A tout un tas de trucs... Ca ne reprendra pas tout de suite comme avant...

Lisbeth avait l’impression d’être en face d’un médecin qui lui annonçait, usant de tours et de détours qu’il espérait plus doux, moins choquants, le décès de sa mère, vous voyez, ces phrases telles que « on a fait tout ce qu’on a pu, mais… ». Toutes ces justifications maladroites de quelqu’un responsable de ce qu’il sait être délicat à annoncer. Le regard lointain, son sourire fané sur ses lèvres, les doigts serrés autour de la choppe, elle écoutait, immobile, Matthew lui annoncer qu’il n’avait jamais tourné la page. Qu’elle était encore l’unique pour lui. Un trou noir, glacé et angoissant, s’était installé au creux de son estomac et aspirait tout ce qui avait attrait au bonheur, inspirant à la jeune femme des conclusions terrifiantes qui prenaient forme autour de cette simple phrase : ça ne reprendra pas tout de suite comme avant...

« Alors quand ? », dit-elle d’une voix atone, absente, sans relever les yeux de sa choppe.

Ressaisis-toi, Lisbeth !, s’exhortait-elle. Matthew allait plus mal qu’elle, et si elle se mettait elle aussi à perdre pied, aucun des deux n’allaient s’en sortir et cela pouvait aboutir à des situations dommageables autant pour l’un que pour l’autre. Lisbeth n’avait jamais été une fine psychologue, et elle avait une propension à se faire des films pour par grand-chose assez remarquable, et ceux qui défilaient dans son esprit n’avaient rien de prometteur pour un avenir meilleur. Chassant tant bien que mal ces images, elle tenta de rassembler ses pensées auxquelles elle donnait le plus d’objectivité possible, réfléchit un instant, mais le prénom de Lysander continuait de tournoyer dans son esprit. Lysander me fait réfléchir… Lysander me dit à chaque fois qu’il ne comprend pas pourquoi on s’est séparés… De quoi se mêlait-il, à la fin ? Jusqu’à maintenant, leur amitié avait bien fonctionné, jusqu’à ce qu’il vienne y fourrer son nez. Qu’il se préoccupe déjà de sa pseudo-relation avec Cassandre, avant de venir se mêler des oignons des autres. Cependant, Lysander était-il le plus important dans cette histoire, ou n’était-ce qu’un tour de son esprit pour passer en second plan ce qui la gênait le plus, à savoir… les sentiments de Matthew ?

« Ecoute, Matt’… »

Nerveusement, elle se mit à tripoter le pendentif qu’elle n’avait jamais enlevé, celui que lui avait offert Matthew à l’occasion de leurs six mois. C’était pour elle une marque de cette époque qui lui a été la plus chère, et cela malgré l’ambigüité que le port de ce pendentif pouvait constituer. Soit elle ne s’était pas doutée, soit elle n’avait jamais voulu croire qu’un jour Matthew viendrait la voir pour lui dire qu’il ne l’avait jamais vraiment oubliée ; sans doute la deuxième solution. Après tout, il lui avait bien fait comprendre, alors qu’elle était avec Bliss, qu’il n’aimait pas qu’elle sorte avec un autre.

« On s’est séparés, tous les deux, parce qu’on savait que c’était fini entre nous, à ce moment-là. Je crois… Je crois qu’on se ressemble beaucoup trop pour qu’on puisse être heureux, même maintenant qu’on a dix-sept ans. Sans doute que tu penses toujours à ce qu’on a vécu parce que oui, c’était génial, parce que oui je n’en regrette pas une seule seconde, simplement parce que tu n’as pas encore trouvé quelqu’un d’autre. Regarde avec qui tu es sorti ! Ne serait-ce que Priam, c’était une erreur. »

Un client venait d’entrer dans les Trois Balais, et, au grand soulagement de la jeune femme, ce n’était pas Lysander. Le cœur en argent roulant toujours entre ses doigts, Lisbeth reprit, tournée vers Matthew :

« Sans toi, je n’ai plus grand-chose, tu le sais, non ? »

Matthew sentit son coeur se serrer quand Lizzie lui demanda d'écouter. Ca ne laissait présager rien de bon mais, au moins, elle ne l'appellait plus par son prénom. C'était déjà ça. Voilà qu'elle devenait nerveuse, maintenant! Enfin, il comprenait, il y avait de quoi. Il n'eut même pas besoin de la regarder pour savoir qu'elle tripotait le pendentif qu'il lui avait offert voilà deux ans et six mois. Elle ne l'avait jamais retiré et il doutait qu'elle le fasse un jour. La suite des paroles de la demoiselle lui firent l'effet d'une douche froide. Pour Lisbeth, c'était terminé. Ils s'étaient aimés, ils s'étaient quittés et point final. Alors comme ça, il ne pensait à elle que parce qu'il n'avait personne? Raisonement stupide mais légitime. Elle ne semblait pas vouloir croire qu'il l'aimait encore. Lui non plus.

-Je suis aussi sorti avec des filles bien. Regarde Gloss! Tu vas mettre la soeur de ton Bliss chéri dans le même sac que ces pétasses superficielles? Tu te plains que sans moi tu n'as pas grand-chose, mais tu crois que c'est différent pour moi?! Oh, oui, tu vas me dire que j'ai Lysander! Mais ce que tu ne sais pas, c'est que sans toi peu m'importe Lysander ou les autres qui me tournent autour! Tu es la seule qui me ressemble, qui me comprends! De toutes les filles avec qui je suis sorti, tu es la seule qui aie été vraiment importante pour moi! Et dans toutes les prochaines, tu sais ce que je vais rechercher? L'éclat de tes yeux quand tu me vois arriver, tes moues quand je commence à te taquiner! Depuis toi, elles m'ont toutes parues fades, sans intérêt. Alors ne viens pas me dire que c'est juste parce que je n'ai personne.

Le Gryffondor sentait son sang commencer à bouillir dans ses veines. Il s'énervait et ça ferait plus de dégâts qu'autre chose. Il fallait qu'il se calme mais avec Lizzie en face de lui ce serait difficile.

-Et puis, tu veux me faire la morale sur les filles avec qui je sort, mais toi? Oh, certes, tu ne sors avec personne mais si tu ne m'aimes plus, pourquoi est-ce que les seules fois où je t'ai vue sans ton collier tu courrais partout pour le retrouver? Encore la semaine passée! Je n'ai jamais vue aucune fille attachée à ce point là à un bijou qu'un ex lui avait offert!

Il fallait qu'il sorte et qu'il parle avec Lysander. Il le laisserait crier dans le vide, ne le prendrait même pas mal et il l'aiderait à y voir plus clair. Se levant, il sortit quatre gallions de sa poche et les posa sur la table avant de se diriger vers la sortie, sans un mot de plus. Quelque part, il espérait qu'elle le rattrappe mais il n'y avait sans doute aucune chances.

Il partait. Il partait comme un voleur, frémissant de colère, la laissant là, toute seule avec sa choppe, blessée. Se faire repousser par quelqu’un, même à demi-mots, même avec des trésors de douceur et d’attention, était toujours douloureux ; pas qu’elle en ait fait plusieurs fois l’expérience, mais ce n’était pas comme si elle n’avait pas connu. C’était vrai aussi qu’il ne lui avait pas clairement redemandé à ce qu’ils se donnent une seconde chance, vérifier si c’était vraiment la solution ; mais quelle amie serait-elle si elle l’avait laissé espérer, après ce qu’il venait de dire ? Lisbeth, assise à sa table, accusait le coup de toutes ces accusations, observant les pièces d’or rageusement plaquées sur la table rouler sur elles mêmes.

Elle avait la désagréable impression de s’être faite humiliée.

« Je ne te rattraperais pas, et je me fiche pas mal que tout le monde entende notre querelle », claqua-t-elle sèchement alors que Matthew n’avait pas encore dépassé la table d’à côté, l’immobilisant par le simple ton de sa voix. « Je ne me bougerais certainement pas pour te montrer une quelconque affection ou une quelconque pitié, parce que tu ne m’en a pas accordé toi-même le bénéfice. Et comme tu sembles décidé à être blessant malgré tout, je ne vais pas me gêner moi non plus. »

Ses yeux étaient embués des larmes montées par ces mots blessants. Sa main tremblait ; elle refermait nerveusement ses doigts, ne levait pas le regard vers lui, préférant tenir entre les griffes de ses yeux une chaise de bois et l’accabler de tous les torts plutôt que de le lever vers Matthew, parce que si elle le regardait, si elle regardait son meilleur ami, elle savait qu’elle ne parviendrait pas à être cohérente dans ce qu’elle voulait dire – déjà que lorsqu’elle était en colère, elle ne faisait pas preuve d’une logique qui casserait trois pattes à un canard…

« Et si tu cherchais autre chose que des parcelles de moi chez les autres filles, peut-être que tu arriverais enfin à enlever tes œillères qui te masquent la vue, tu ne penses pas ? Pourquoi crois-tu que tu ne t’arrêtes que sur le physique des filles ? Tu vaux mieux que tous ces obsédés stupides dont le QI n’équivaut même pas celui d’un scrout à pétard, c’est juste que t’es borné, même que tu as peur de trouver quelqu’un d’autre, j’en sais rien ! Mince, ça fait sept ans qu’on se connaît, et deux ans qu’on est séparés, et tu viens me dire que tu regrettes d’avoir toi aussi voulu rompre ? T’aurais fait quoi, si on était restés ensemble, tu m’aurais trompée ? Parce que, pour te rafraîchir la mémoire, c’est parce que nos regards allaient ailleurs, s’intéressaient à d’autres, qu’on s’est quittés. Tu te souviens ? Ou faut-il encore que j’enfonce le clou en te rappelant ton aventure avec la petite sœur de mon Bliss chéri, comme tu dis ? Il me semble qu’elle ne te laissait pas aussi indifférent que les autres pétasses superficielles, en voilà un vocabulaire fleuri pour parler de tes conquêtes passées. Je ne te laisserais certainement pas dire de Gloss qu’elle était fade et sans intérêt, puisque tu ne le penses même pas toi-même. »

Lisbeth, finalement, leva son regard acéré, cependant inondé, vers son meilleur ami. Son meilleur ami, qu’elle ne supporterait jamais de voir partir. Son meilleur ami, la seule personne au monde, qui ne soit pas de son sang, qu’elle protégerait comme s’ils étaient issus du même ventre. Ses dents crissaient, serrées par le cocktail explosif de sa colère mélangée à la douleur et à la peur.

« Je ne supporte pas que tu te vois comme un simple ex qui m’aurait offert un cadeau. Tu veux savoir pourquoi je suis toujours à sa recherche ? Parce que, figure-toi, un type bien, que j’aime, que j’adore tellement que ça en vient à foutre le bordel dans les deux seuls couples que j’ai formé après notre rupture, et ce malgré que j’en ai entièrement conscience, me l’a offert. Ce type, il s’appelle Matthew Jackson, et avant d’être un ex, c’est, bordel, mon meilleur ami, ma moitié, mon jumeau. Il semblerait que cette personne se soit enfuie au loin et attende qu’on aille la rejoindre, parce que ce que j’ai sous les yeux, c’est pas lui. »

Alors qu'elle se taisait, son regard ancré dans celui de Matthew n'avait rien d'avenant, et lui souhaitait certainement tout sauf de l'approcher. Sa main serrait la choppe à l'en faire éclater, si le verre n'était pas aussi épais, il aurait certainement céder sous la pression. Dans son autre main, c'était le pendentif litigieux qui subissait le même sort. Au fond d'elle-même, Lisbeth savait que c'était horrible, ce qu'elle venait de dire. Quelque part, elle lui demandait de cesser de l'aimer ; ou alors n'était-ce que la peur de les voir s'éloigner l'un de l'autre à cause de sentiments intempestifs qu'ils ne pourront pas gérer une deuxième fois qui la poussait à lui parler de la sorte ? Lisbeth était trop paralysée à l'idée qu'elle puisse perdre Matthew à cause de leur ancienne aventure pour prendre ce risque. Catherine avait peut-être raison. L'intensité de ce qu'ils vivaient ne pouvaient pas permettre une relation éternelle.

« Si on recommence », ajouta-t-elle, un ton plus bas, « on ne pourra jamais le réparer. »

Matthew n'en revenait pas. Comment osait-elle?! Jamais il n'aurait cru ça venant de la part de Lisbeth. Elle avait commencé par lui dire tout un tas de trucs qu'il ne parvint pas à suivre, puis elle enchaîna comme quoi il avait peur de se trouver quelqu'un. C'était totalement faux. Mais le pire, le coup de grâce, ce fut quand Lizzie affirma presque qu'il l'aurait trompée s'ils étaient restés ensembles. Et puis des remarques sur Gloss, pour l'achever. Il était vrai qu'il s'était senti mieux avec elle qu'avec les autres filles, mais ça n'avait rien à voir avec sa jumelle, c'était tellement plus fade! Maintenant c'était à son tour d'avoir les larmes aux yeux, à cause de cette accusation stupide.

Le Gryffondor n'avait rien répliqué. Il s'était contenté d'écouter jusqu'au bout. Mais au plus elle parlait, plus il se sentait blessé parce qu'il se rendait compte qu'elle refusait ses sentiments en bloc. Ce n'était déjà pas facile de se faire jeter, mais en plus elle en rajoutait une couche.

-C'est que Lysander me connaît mieux que toi, en fin de compte.

Parce que lui, il savait qu'il ne l'aurait jamais trompée, entre autres choses. La dernière phrase de Lisbeth le pétrifia un instant, puis il préféra s'en aller sans un mot de plus, pas même un aurevoir. C'était plus qu'il ne pouvait en supporter et, une fois dehors, il eut du mal à retenir ses larmes. Voilà qu'il se mettait à chialer comme une gonzesse! Il jeta un oeil à sa montre et faillit fondre en larme sur le coup. Il n'était même pas dix heures! A grands pas, il prit la direction de la Cabane Hurlante, songeant qu'au moins il y serait tranquille. Tant pis si Lysander ne le trouvait pas.

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